Même si je suis sans papiers, je ne voudrais pas être un tailleur.....

Qu'est-ce qui ne va pas avec Mamadou ? Je suis inquiet.

Je le trouve assis sur une grosse pierre devant la porte de mon jardin.
Il n'est pas entré comme les autres pour jouer.
Il est là à m'attendre. Mamadou a changé.

Je réalise que je ne l'ai pas vu depuis plusieurs semaines. Je lui demande comment il va et sans lever les yeux il me dit très sérieusement"wau" ("oui" en wolof - sénégalais, la langue avec laquelle nous communiquons). Je pose d'autres questions pour mieux comprendre et seul le "wau" est répété, toujours le regard fixé sur le sol. J'ai peur et je regarde d'un air interrogateur sa tante qui vend des fruits et des cacahuètes sur une table faite de morceaux de bois et de carton recyclé à côté de ma porte d'entrée : " qu'est-ce qui ne va pas avec Mamadou ? ".

 "Il achangé, me dit-elle, depuis qu'on l'a envoyé chez un oncle à Dakar pour apprendre le métier de tailleur. L'oncleest très strict, je ne sais pas s'il apprend à coudre mais au moins il s'est calmé, l'oncle le redresse bien."

Je suis inquiet. Je n'arrive pas à faire sortir d'autres mots de la bouche de Mamadou, un garçon d'environ 11 ans, autrefois si joyeux et alerte. Alors je lui dis de m'emmener chez son père.

Pourquoi Mamadou ne va-t-il pas à l'école ?

Dans ce quartier résidentiel de Dakar, derrière les murs qui entourent les terrains non encore occupés par des immeubles ou des chantiers, dans des cabanes provisoires construites avec divers matériaux de récupération, il y a eux, les"peulh fouta", originaires d'une région de bergers en Guinée, venus chercher du travail, même occasionnel et improvisé, pour améliorer les conditions de leurs familles.
Le père m'explique que Mamadou était devenu agité et difficile à gérer, toujours dans la rue à ne rien faire, alors il l'a confié à son oncle. Il n'est venu voir maman qu'aujourd'hui.
"Mais pourquoi ne va-t-il pas à l'école ?" Je demande et soudain je vois Mamadou lever les yeux et dans ses yeux enfin une lueur d'intérêt.
Le père explique que Mamdou aimerait aller à l'école et le demande depuis plusieurs années, mais qu'il n'y a aucun moyen de l'inscrire. Ils exigent un certificat de naissance et il n'en a pas. "Il est né en Guinée, dans la "brousse", dans une case, loin de tout Centre de santé donc il n'a même pas le carnet de santé où la sage-femme inscrit la date de naissance."
Je vais avec le père à la municipalité et ils me disent que la seule possibilité est de faire la pratique de la reconnaissance tardive au tribunal. Mais ils ont besoin de témoins et de beaucoup de temps. Nous sommes découragés.
 

Janghi paiera les frais et nous aidera avec la paperasse. Mamadou finit par crier à sa mère "demain je vais à l'école" ! 

Ensuite, je vais à l'école publique de Ngor. Thierno vient avec moi.

Nous rencontrons le directeur adjoint qui semble impressionné par l'intérêt de l'enfant et mon engagement. Il me dit qu'il connaît quelqu'un qui peut aider le père à faire les papiers dans un délai raisonnable et avec une date de naissance compatible avec l'inscription à l'école, et il est certain qu'avec une somme modeste pour couvrir les frais, il le fera. Il peut donc accepter l'enfant à l'école. Je paie pour l'inscription en tant que Janghi et je m'engage à ce que le père contacte le gars pour les papiers au tribunal et que nous achetions les fournitures scolaires nécessaires.

Alors le directeur me dit : "il est inutile de perdre plus de temps, demain matin l'enfant peut se présenter à la classe de première année". Il me présente un professeur qui donnera à l'enfant des cours l'après-midi pour rattraper les 4 premiers mois d'école qu'il a manqués.
Finalement, Mamadou sourit.

Il me donne la main et me tire rapidement pour rejoindre ma mère rapidement et dès qu'il la voit de loin assise sur le bord de la route en train de vendre des cacahuètes, il lui crie : "Je vais à l'école demain ! !!".